lundi 22 septembre 2025

L’intégrabilité des emprunts/2


Dans mon billet du 28 mars 2023 sur l’intégrabilité des emprunts, j’annonçais une suite qui porterait sur les critères sémantiques d’intégration.

Rappelons d’abord ce qu’est un anglicisme sémantique. C’est un sens nouveau donné à un mot français sous l’influence de l’anglais. Comme le disait le premier (1980) Énoncé d’une politique relative à l’emprunt de formes linguistiques étrangères de l’Office (pas encore québécois) de la langue française : « L’emprunt sémantique peut se produire sous l’influence de formes apparentées (to realize, réaliser) ou d’une correspondance de sens entre les deux mots, mais dans un autre champ de signification » (copy, copie pour désigner un exemplaire de livre).

Il faut distinguer l’emprunt sémantique du calque. Ce dernier est la traduction littérale en français d’une expression d’une autre langue (low profile, profil bas). La notion de calque s’applique également à un mot simple, analysable en éléments, que l’on traduit littéralement (listing, listage). Pour qu’il y ait calque, il faut donc qu’il y ait au moins deux éléments (deux unités minimales porteuses de sens).

Ces distinctions ont été rendues plus obscures dans les deux versions subséquentes de politique des emprunts linguistiques de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

Raisonnons à partir de quelques exemples.

Bris d’égalité est une traduction littérale de tie break. Pour le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), « bris d'égalité est un calque morphologique acceptable du terme anglais tie-break, qui s'intègre bien au système morphosémantique du français. » Sur ce calque, je citerai le linguiste français Louis-Jean Calvet :

Début mai, étant à Québec pour un colloque, j'avais noté un usage proprement québécois dans le vocabulaire du tennis consistant à utiliser bris d'égalité à la place de l'anglais tie break pour désigner ce qu'on appelle en français hexagonal jeu décisif […]. Je me rends compte aujourd'hui que l'expression est généralisée : balle de bris pour balle de break, briser le service du rival, avoir une chance de bris, etc. Ce qui est frappant, ou du moins ce qui me frappe dans cette volonté québécoise de « désaméricaniser » le lexique, c'est que pour comprendre des formes que nous n'employons pas en France il suffit le plus souvent de se demander à quoi elles correspondent en anglais. Pour comprendre balle de bris il faut passer par balle de break. […] on a souvent l'impression que l'on suit au Québec une troisième voie consistant à traduire mot à mot de l'anglais. En d'autres termes, les Québécois ont tendance, lorsqu'ils suivent les instructions officielles, à parler anglais en français. C'est-à-dire que la néologie se ramènerait souvent pour eux à la traduction, ou plutôt à ce qu'on appelle en termes techniques le calque. Le visage de la langue en est bien sûr transformé. Mais, surtout, cette tendance me semble conforter au plus haut point la domination de l'anglais.

Il ajoute :

Franciser ainsi l'anglais en croyant lui résister constitue un phénomène étrange que j'aurais tendance à analyser non pas en termes linguistiques mais plutôt en termes psychanalytiques. J'écris ces quelques lignes en écoutant d'une oreille distraite une chaîne de télévision québécoise et j'entends sauver de l'argent, qui est bien sûr une traduction de to save money pour dire économiser. Il s'agit là d'une forme populaire, mais les responsables québécois de la politique linguistique me paraissent aller strictement dans le même sens. (Billet du 24 juillet 2008, en ligne sur le site de Louis-Jean Calvet.)

(Louis-Jean Calvet parle de phénomène étrange qu’il faudrait analyser en termes psychanalytiques plutôt que linguistiques. Suis-je le seul à avoir constaté que les deux grandes lois linguistiques québécoises, la loi 22 et la loi 101, sont dues à deux psychanalystes ?)

Deuxième exemple : l’évolution sémantique récente du mot communauté au détriment de collectivité. Il y a quelques décennies, le mot communauté utilisé sans autre précision désignait au Québec presque toujours une communauté religieuse. Au début, je trouvais fort curieux d’entendre parler de condamnation à des travaux dans la communauté ou d’entendre des autochtones s’inquiéter des répercussions de telle ou telle décision gouvernementale dans la communauté. Évidemment, il s’agissait d’un emprunt à l’anglais. Aujourd’hui, l’emploi de communauté au sens de collectivité semble être passé dans l’usage québécois. Au Québec, c’est sous l’influence de l’anglais qu’on donne à communauté un sens qui est plutôt celui de collectivité, c'est-à-dire ensemble organisé de la population coïncidant avec une subdivision du territoire, jouissant de la personnalité morale et ayant le pouvoir de s'administrer par un conseil élu.

Dernier exemple : bris d’eau, traduction littérale de water break (on entend aussi régulièrement à la radio bris d’aqueduc). Il s’agit tout simplement de la rupture d’une conduite d’eau. L’expression bris d’eau est une absurdité sémantique. Mais en vertu du principe saussurien de l’arbitraire du signe*, cette suite de sons absurde finira peut-être par être associée au concept de rupture de conduite. Comme le disait joliment le GDT dans la fiche « jouabilité » (aujourd’hui révisée), « parfois, les mots finissent par prendre le sens que l’usage leur donne ».

Ces exemples montrent à quel point il peut être vain de chercher des critères sémantiques pour filtrer les emprunts à une langue étrangère.

Ma conclusion générale au présent billet et au billet du 28 mars 2023, c’est qu’il n’y a pas de critères infaillibles et universels pour décider de l’acceptation ou de l’intégrabilité des emprunts linguistiques. Même les difficultés phonétiques peuvent être contournées. On trouvera toujours un moyen d'intégrer les mots étrangers si on y tient vraiment ou si l’on doit le faire : un présentateur de journal télévisé trouvera le moyen de prononcer Brno (ville tchèque) ou Wrocław (ville polonaise). Il faut donc se résoudre au cas par cas. C’est revenir à la sagesse du premier énoncé de politique linguistique de l’Office (1980) : les « critères [d’acceptation ou de rejet] ne doivent pas être considérés isolément, mais […] ils doivent être appliqués comme un ensemble pondéré pour chaque cas d’emprunt ou de calque » (p. 15).

Les optimistes irréductibles voudront faire valoir que l’Office québécois de la langue française peut toujours filtrer les anglicismes dans les domaines de spécialité. On peut toutefois douter de la volonté de l’organisme d’aller dans ce sens quand on considère sa pratique. À titre d’exemple, alors qu’on aurait pu croire à la fin des années 1990 que le calque tête-de-violon était en régression au profit de crosse de fougère qu’il tentait d’imposer jusque-là, l’Office, au lieu d’orienter l’usage dans la langue commerciale, se contente de constater depuis un quart de siècle : « dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé ». Désormais, quand l’Office intervient, c’est le plus souvent pour censurer les anglicismes lexicaux (les mots anglais tels quels) et pour entériner l’usage de calques ou en proposer de nouveaux. La belle affaire ! Nous sommes toujours au même point qu’en 1879 quand Jules-Paul Tardivel décriait « l’habitude, que nous avons graduellement contractée, de parler anglais avec des mots français ».

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*Pour Ferdinand de Saussure, le signe linguistique est une double entité : le signifiant (le son, l’image acoustique) et le signifié (le concept). Le lien entre les deux parties est arbitraire.

 

lundi 8 septembre 2025

Les Linguistes atterré·e·s et la domination de l’anglais


En 2023 paraissait le tract Le français va très bien, merci du collectif des Linguistes atterré·e·s (Gallimard, coll. « Tracts »). J’ai déjà eu l’occasion de publier un billet sur une des pseudo-vérités qu’ils assènent dans ce pamphlet : « L’anglais ne connaît pas de genre grammatical » (cliquer ici pour lire ce billet).

Lionel Meney a publié l’année dernière La sociolinguistique entre science et idéologie. Une réponse aux Linguistes atterrées (Limoges, Lambert-Lucas). L’annonce de cette parution sur un fil de discussion a suscité une polémique lancée par une linguiste subcarpatique ou moldo-valaque (lire mon compte rendu de l’incident en cliquant ici).

Une critique d’un chapitre de ce livre (« Le français n'est pas ‘envahi’ par l'anglais ») a paru récemment dans un blogue de Médiapart. L’auteur, Vincent Doumayrou, est vraisemblablement un traducteur professionnel à en juger par les arguments qu’il utilise. Selon lui, « les LA [= Linguistes atterré·e·s] tombent en fait dans les mêmes travers que les personnes qu’ils prétendent pourfendre au nom de la science ». À noter qu’il a soumis ses critiques à quelques-uns des auteurs et dit qu’il n’en a reçu aucune réponse.

Vincent Doumayrou avertit que ses billets sont supprimés au bout d'une durée maximale de deux ans. Aussi je vais citer quelques extraits de son billet « Les linguistes atterrés se prosternent devant la domination de l'anglais » avant qu’il disparaisse dans les limbes d’Internet :

[…] le livre est un simple ouvrage d’opinion, mais d’opinions proférées avec l’assurance du sachant : pour cette raison, indépendamment même de ses thèses, sa lecture m’a procuré une impression de suffisance assez pénible.

J'ajoute aussi, à titre subsidiaire, m'étonner de l'énoncé suivant : « Les puristes [se plaignent] de ce qu'ils appellent [sic] les anglicismes » ; comme si cette notion n'avait de sens que dans la bouche des puristes. Pourtant, elle désigne un emprunt fait à l'anglais, comme le mot germanisme désigne un emprunt fait à l'allemand, hispanisme à l'espagnol, gallicisme au français : je ne comprends pas la réflexion des LA.

[…] au cours de leur histoire, les langues ont emprunté des mots et des tournures les unes aux autres. Mais au cours de l’histoire, les langues ont aussi une vocation de différentiation culturelle, elles ont formé le support de l’identité des peuples et de la construction des nations. 

[…] Et contrairement à ce que les LA laissent entendre par ailleurs, ce phénomène de construction de l’identité par la langue n’a rien de spécifique à notre pays. Ainsi, dans la Belgique unifiée du XIXème siècle, la Flandre a en bonne partie forgé son identité en réaction à l’influence du français.

De même, l’Angleterre a défendu sa langue par des lois contre le français – notamment le Statute of Pleading de 1362, qui fait de l’anglais la langue des actes de justice, sorte d’équivalent de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts : quand ils fustigent la Loi Toubon, les partisans de l’anglais (dont les LA, qui glorifient le monde anglophone comme peu à cheval sur les règles de l’orthographe, ce qui est discutable mais sort du propos de ce billet) oublient qu’en son temps, l’Angleterre a aussi eu recours à des lois de protection linguistique.

[…] De plus et surtout, on peut très bien s’élever contre les anglicismes pour des raisons autres que nationalistes. Ainsi, les LA accuseraient-ils de « lecture nationaliste » des salariés qui lutteraient contre le jargon anglomane employé par l’encadrement, comme cela arrive parfois ?

[…] Il est d’ailleurs déroutant de voir ces derniers [= les LA] dénoncer la complication de l’orthographe française comme un outil de domination des sachants sur les non-sachants, et ne trouver aucune objection à l’anglomanie des élites, comme si cette dernière n'était pas élitiste aussi

[…] je trouve paradoxal que les LA présentent comme un risque tendanciel la disparition du français au profit de l’anglais, alors que leur thèse consiste précisément à affirmer que l’anglais ne menace pas le français... ils reformulent comme une hypothèse recevable la proposition qu’ils présentent quelques pages avant comme une idée reçue à combattre à tout crin…

[…]

Le chapitre s'abstient […] de toute dénonciation quant au fait que l'anglais évince progressivement les autres langues nationales, notamment dans l'enseignement supérieur et la recherche ou encore la vie des grandes entreprises. Dans les écoles de commerce, et petit à petit dans les écoles d'ingénieur, le cours en anglais est devenu la règle, et on peut difficilement éviter l’emploi du terme d’invasion… aucun mot, pourtant, pour dénoncer le risque de perte de domaine du français.

Pour lire le texte complet de Vincent Doumayrou, cliquer ici.

 

lundi 25 août 2025

La langue de par chez nous


Il y a de cela plusieurs années je me promenais rue Saint-Jean à Québec. Il y avait trois religieuses devant moi et j’entends l’une dire : « chez eux à elle sont venus en fin de semaine ». Peut-être avais-je déjà entendu l’expression mais je ne l’avais jamais remarquée.

Ne cherchez pas d’explication dans Usito, vous ne la trouverez pas. Non plus dans le Dictionnaire historique du français québécois. Il n’y a pas de quoi s’étonner, ce dernier est en cours de publication.

En revanche, Le Glossaire du parler français au Canada (1930) avait noté que « chez nous vont venir » signifiait « mes parents vont venir » :

 


On peut discuter de l’analyse faite par les rédacteurs du Glossaire : il est curieux de définir ce qu’ils considèrent comme une préposition par des syntagmes nominaux.

Je n’ai pas trouvé d’exemples de chez utilisé pour former un syntagme nominal sujet dans le fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec.

Du point de vue étymologique, cet usage dérive du sens « dans la maison de » de la préposition chez. On trouve en français standard des exemples où « le groupe prép[ositionnel] peut être lui-même précédé d'une autre prép[osition] à valeur locale, le concept ‘dans’ étant alors neutralisé et chez signifiant ‘la maison où habite..., séjourne habituellement...’ » (Trésor de la langue française informatisé) :

Alors je songeai, puisque j'avais la clef de chez elle, à aller la voir comme de coutume. A. Dumas Fils, La Dame aux Camélias,1848, p. 146.

Les avenues avant chez la tante c'était plein de marrons. Je pouvais pas m'en ramasser, on n'avait pas une minute... Céline, Mort à crédit,1936, p. 51.

 

vendredi 22 août 2025

Une ancienne formule de politesse québécoise

 

Le 11 août, j’ai publié un billet où je citais les propos d’une chroniqueuse du Devoir sur le vouvoiement : « [i]l n’y a pas si longtemps, les enfants vouvoyaient leurs grands-parents, voire leurs parents. ».

Cela m’a rappelé une forme d’interpellation qui me semble aujourd’hui disparue : l’emploi du pronom possessif à la 3e personne du singulier pour s’adresser à ses parents. Les plus anciennes attestations de cette formule datent de 1916 dans le fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) : « Je sais, son père; je sais bien », « C'est-il vrai, sa mère, demanda-t-elle […] » (Maria Chapdelaine).

On trouve des dizaines d’exemples de cette forme d’adresse dans Trente arpents de Ringuet (p.ex., « [é]coutez, son père, ça fait betôt trois mois que vous êtes cheu nous »). On la trouve aussi chez Gabrielle Roy, Germaine Guèvremont, Jacques Ferron, etc. L’exemple le plus récent semble être de Janette Bertrand : « Arrive au XXIe siècle, sa mère ! » (Le bien des miens, 2007).

Dans les exemples du TLFQ, l’interpellation des parents au moyen du pronom de 3e personne du singulier s’accompagne (presque) toujours du vouvoiement. Mais la formule peut aussi s’utiliser entre conjoints et s’accompagner alors du tutoiement, comme dans cet exemple tiré de Bonheur d’occasion :

Elle [Rose-Anna] pencha la tête et hasarda timidement:
- Son père, as-tu pensé à la dépense?
- Oui, sa mère, c'est tout arrangé. Le truck me coûte rien.
- Lachance te le laisse?
La physionomie d'Azarius se rembrunit.

Cet usage n’a pas été enregistré dans le Trésor de la langue française (TLFi) de Nancy (TLFi), où on ne trouve s.v. son que :

A. − [Dans l'interpellation]

1. [Précédant les titres honorifiques de certains personnages importants, pour s'adresser à eux avec révérence ou parler d'eux à la 3epers. du sing.; s'écrit dans ce cas avec une majuscule] Sa (Gracieuse) Majesté la Reine de […]

2. [Précédé de monsieur, madame, et suivi de père, mère, tante..., pour s'adresser à une pers. à la 3epers. du sing. ou parler d'elle par déférence] Monsieur son père, Madame sa mère. […].

Cet usage a complétement échappé à l’attention des rédacteurs d’Usito (pourtant censé décrire le français standard en usage bla bla bla). À l’entrée son, adjectif possessif, Usito s’est contenté d’une variation sur la définition du TLFi :

(devant un titre honorifique) (avec une majusc.) Sert à désigner à la 3e personne un personnage de haut rang.

Aucune référence à l’usage québécois pourtant attesté des dizaines de fois dans le fichier lexical du TLFQ. Et qui avait été enregistré dans le Glossaire du parler français au Canada (1930):



dimanche 17 août 2025

Une ode qui fait désordre


La dernière « « bien-aimée rubrique Point de langue » du quotidien Le Devoir, « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique », est une « ode à la variation linguistique » et mériterait plus que les quelques critiques que je vais ici formuler. Car je ne veux pas être victime de la loi dite de Brandolini, selon laquelle la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des sottises est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire, selon la définition de Wilipedia.

Première affirmation contestable : « la seule communauté francophone à avoir produit son propre dictionnaire général complet est le Québec, et encore, il a fallu attendre 2013, avec Usito (il y a eu d’autres ouvrages québécois au cours de la riche histoire lexicographique du Québec, mais il s’agissait plutôt d’ouvrages correctifs ou se concentrant sur les particularismes). »

Réfutation : Claude Poirier et Lionel Meney ont déjà montré que l’architecture des articles du dictionnaire Usito reprend souvent celle du Trésor de la langue française (TLF), dictionnaire en 16 volumes (plus supplément) produit à Nancy et depuis plusieurs années disponible gratuitement en ligne. Lionel Meney va même plus loin lorsqu’il affirme : « Usito, prétendument « dictionnaire général et complet » du français québécois, a en réalité repris massivement les termes, les sens et les définitions du dictionnaire du Centre national de la recherche scientifique de France le Trésor de la langue française en 16 volumes. » Pour plus de détails, cliquer ici.

Seconde affirmation : « lors de la Révolution française, la diversité des dialectes est perçue comme un frein à l’idéal d’unité et d’égalité […] La diabolisation des dialectes n’a eu d’autres conséquences qu’une perte de richesse linguistique et la honte dont on garde le souvenir jusqu’à aujourd’hui, comme en témoigne ce message qui aurait été affiché dans les classes de Bretagne : « Il est interdit de parler breton et de cracher par terre ».

Réfutation : à l’époque de la Révolution française, on ne parlait pas de dialectes mais de patois. Et, cerise sur le gâteau, la chroniqueuse considère que le breton est un dialecte. Pour tout linguiste un peu sérieux, le breton est une langue à part entière. Et dans la France contemporaine on le considère comme une langue régionale au même titre que le basque, l’alsacien et nombre de langues des territoires d’Outre-mer.

 

 

 

lundi 11 août 2025

Garde à vous!


Une fois de plus je ne peux m’empêcher de commenter la « bien-aimée rubrique Point de langue » du Devoir, « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique. » Celle de samedi dernier n’était pas piquée des hannetons. Elle portait sur le vouvoiement à la suite de la décision du ministre de l’Éducation Bernard Drainville de rendre obligatoire le vouvoiement dans les écoles.

La bien-aimée chroniqueuse s’interroge sur la fréquence du tutoiement au Québec qu’on ne peut expliquer, précise-t-elle, par une influence de l’anglais. Elle propose une explication sociologique qu’elle emprunte à Sapir :

Dans un entretien que le linguiste et anthropologue américain Edward Sapir accorde à Philippe Barbaud dans le cadre de sa chronique de langue « Parler d’ici », en 1984, ce dernier faisait ce rapprochement avec l’anglais. Sapir répond que « c’est loin d’être évident » et propose l’explication suivante : « Je crois plutôt que votre société, pour des raisons historiques évidentes, est nettement plus égalitaire qu’ailleurs. Vos origines rurales ont nivelé les différences hiérarchiques engendrées par les classes sociales du Vieux Continent. Dès lors, que devient l’utilité du “vous” dans l’échange linguistique entre interlocuteurs qui se perçoivent comme égaux, culturellement parlant ? Le vouvoiement s’avère en fin de compte peu représentatif d’une société qui se perçoit plus égalitaire. »

Philippe Barbaud, aujourd’hui à la retraite, a été professeur de linguistique à l’UQAM. Dans un commentaire laissé sur le site web du Devoir, il répond du tac au tac : « J'aurais bien aimé avoir une conversation avec l'ethnolinguiste réputé Edward Sapir... Mais quand il est mort en 1939, je n'étais pas encore né ! »

Donc, selon la chroniqueuse, le vouvoiement est une manifestation d’une société plus égalitaire. Pourtant, elle rappelle « [i]l n’y a pas si longtemps, les enfants vouvoyaient leurs grands-parents, voire leurs parents. » À cela j’ajoute que j’ai eu tout un choc quand, lors ma première classe au cours classique, le titulaire m’a appelé Monsieur et il n’était évidemment pas question que les élèves le tutoyassent. À cette époque (et bien avant d’ailleurs), à l’école primaire, au secondaire, à l’Université, on vouvoyait les enseignants. C’était pourtant après la déclaration de Sapir (mort en 1939 !) sur notre société plus égalitaire qui favorise le recours au tutoiement.

Un autre commentateur a publié sur le site web la remarque suivante : « Quel salmigondis qui tourne en rond sans grande utilité, pour finir en queue de poisson ! Que n'écrirait-on pas pour mettre en doute une décision ministérielle pourtant bien raisonnable ? »

Vous pourrez lire les autres commentaires, au fond plus instructifs que la chronique elle-même, en cliquant ici.

 

lundi 21 juillet 2025

Gloubi-boulga

Je n’ai pu m’empêcher de laisser un commentaire samedi dernier sur le site Internet du Devoir à la suite de la dernière « bien-aimée rubrique Point de langue », « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique. » Cette fois la chroniqueuse, sans doute en panne d’inspiration car elle avait abordé le sujet l’été dernier, s’en prend aux difficultés de l’orthographe française. Elle commence par les consonnes étymologiques parasites (comme le g dans doigt) et les consonnes doubles pour, passant du coq à l’âne, décrier les règes d’accord du participe passé. La remarque fort brève que j’ai envoyée à la rédaction du Devoir attirait l’attention sur le fait que la chroniqueuse mêlait deux thèmes : « Il est quand même curieux que notre spécialiste ne fasse pas la distinction élémentaire entre orthographe lexicale (les mots dans le dictionnaire) et orthographe grammaticale (les accords). »

La chroniqueuse a reçu l’appui d’un linguiste dont le commentaire était titré : « Voilà qui devrait confondre de nombreux septiques... » On n’aurait pu rêver meilleur exemple pour appuyer l’orthographe traditionnelle. Ma question « des vrais sceptiques ou des fausses sceptiques ? » n’a pas été publiée…